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Pensée pour les sans papiers

LA VOIX DES MIGRANTS: Mai 2013

Avec ou sans papiers

Par Samir ABI

sans papiers

France, Roissy, Aéroport Charles de Gaulle, Terminal 2 E, 15 mai 2013, 14h20. Pour la troisième fois, l’hôtesse de la compagnie Air France annonce aux 300 passagers en partance pour Lomé, groupés devant la porte L 22, que le début de l’embarquement pour le Vol AF 860 prendra un peu plus de retard que prévu suite à un « problème technique ». Cris des passagers qui, depuis une heure, attendent en file et s’étonnent que ce problème s’éternise. Quelques minutes après l’annonce, cinq personnes encadrant un jeune homme tenant une sacoche en main surgirent à l’arrière de la baie vitrée par une porte dérobée donnant directement accès à l’avion. Face au refus du jeune homme d’entrer dans l’avion, ses escortes essayèrent de l’y pousser. Finalement vaincus par sa résistance, les escortes n’eurent d’autre choix que de rebrousser chemin avec leur encombrant colis. A 14h50, l’autorisation d’embarquer fut enfin donnée aux passagers qui venaient d’assister à l’expulsion avortée d’un sans-papiers.

Triste spectacle certes, mais devenu banal pour les habitués des vols Air France sur Lomé.Malgré les oppositions des passagers écœurés par la brutalité des policiers sur les personnes expulsées qui se retrouvent certaines fois bâillonnées ou ligotées, les déportations continuent. Les lois « sarkoziennes » sont venues d’ailleurs renforcer la criminalisation des personnes prenant la défense des sans-papiers maltraités lors des expulsions. Les assassins ont-ils donc droit à plus de respect de leur dignité lors de leur arrestation que les sans-papiers ? Avoir dépassé son délai de séjour légal dans un pays ou ne pas disposer de visa dans son passeport est-il un crime grave au point de mériter de telles humiliations ?

Le pauvre Africain, pas encore assez habitué au monde occidental « civilisé » et « évolué », a de la peine à réaliser que, pour des papiers, on maltraite ainsi son prochain, car les ancêtres lui ont appris que la vie humaine est plus sacrée que des papiers. Encore plus la vie de l’étranger qui est toujours considéré en Afrique comme l’hôte, non d’un seul individu, mais de toute une communauté. Les religions monothéistes importées en Afrique, lui ont également appris que « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Et il y a cru. L’histoire des Hommes est un éternel recommencement.

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Welcome back…

Vol Air France 860, 15 mai 2013. Quelque part au dessus du Togo. Peut avant que le commandant n’amorce sa descente sur Lomé, la belle capitale togolaise, Amakoé se réveille. Il somnolait depuis le décollage et on voyait encore dans l’expression de son visage la fatigue accumulée avant son départ. Les minutes qui précèdent l’atterrissage restent toujours une des meilleures occasions d’amorcer une causerie avec l’inconnu du siège d’à côté, pour vaincre le stress de la descente et découvrir les raisons du voyage. Amakoé rentre définitivement au Togo après treize ans passés en Belgique. Il brandit fièrement son passeport belge acquis après toutes ces années de labeur et de souffrance. Arrivé en 1999 au pays du Mannekken Pis, il avait 21 ans et fuyait l’oppression d’une dictature. La tête pleine de rêves, il était armé d’une volonté sans pareille de changer sa vie et celle de sa famille restée au pays.

Après deux mois dans un centre d’accueil de Fedasil et six mois dans la communauté togolaise de Longdoz dans la ville de Liège, il gagne la commune de St Gilles à Bruxelles. Lassé d’aller de petits boulots en petits boulots, il se lance finalement dans une formation professionnelle pour apprendre la cuisine. Après des années à travailler dans un petit restaurant du Matongé, il se décide enfin à quitter la brume, la pluie, le froid pour rentrer au bercail, convaincu qu’il apportera plus à sa famille et au monde en travaillant dans son Togo natal. Des projets, il en a à foison. Du business au Port Autonome de Lomé à la création d’une boutique de vente de friperies et de chaussures, il rêve d’entreprendre et de créer des emplois pour ses petits frères, mettant ainsi à profit son expérience acquise outre mer. Sans oublier son but ultime, bien évidemment, de faire comprendre à ses frangins qu’on n’est jamais mieux que chez soi.

On est mieux, loin des humiliations et arnaques de toutes sortes dans un pays étranger. Loin de ce propriétaire véreux, médecin à St Gilles, qui, à son arrivée, en guise de logement, lui louait, pour 700 euros par mois, une cave sans chauffage et qui se remplissait d’eau dès qu’il pleuvait. Loin des regards racistes qu’on lui jetait quand il marchait avec sa copine belge. Loin du stress, de la malbouffe et de la vie d’homme pressé. Il revient heureux d’avoir vécu une aventure qui lui aura appris l’essence de la vie et l’humilité dans l’action. L’école de la migration reste une expérience unique qui ne peut être comprise que par ceux qui ont réussi à transformer ces difficultés en savoir-faire et en savoir-être.

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