En toute solidarité
Par Samir ABI
Citoyen d’un des rares pays africains affichant en toute occasion son soutien à l’Etat d’Israël, en opposition souvent à l’opinion internationale qui ne cesse de dénoncer les injustices subies par les Palestiniens, il nous revient de faire entendre notre voix, aussi petite soit-elle, sur ce sujet épineux. Le but de cet exercice citoyen est de faire comprendre l’intérêt que représente pour un peuple africain tel que le peuple togolais, son soutien à l’Etat d’Israël. Un exercice avant tout individuel mais que pourraient surement s’approprier d’autres citoyens africains confrontés à l’absence de débat dans leur pays sur les positions affichées par leur Gouvernement par rapport au conflit israélo-palestinien.
Israël – Afrique : Une coopération au profit des classes dirigeantes
En termes d’action d’appui au développement, le MASHAV, le service israélien en charge de la coopération au développement, n’est certes pas la plus visible des agences de coopération étrangère en Afrique. Autant dans les pays qui votent contre que dans ceux qui appuient Israël à l’ONU, les actions du MASHAV portent essentiellement sur la formation aux techniques agricoles, les projets d’agro-business et l’octroi de bourses d’études en Israël pour faire la promotion du « miracle agricole israélien » grâce au système d’irrigation du goutte à goutte et la réhabilitation des terres arides. Cependant, le secteur clef de la coopération israélienne en Afrique reste le domaine sécuritaire.
Israël a mis à profit son conflit avec les Palestiniens pour développer des méthodes de sécurité, de répression et d’espionnage parmi les plus efficientes au monde. Dans sa coopération en matière de sécurité, Israël offre aux Africains ses services en matière de formation militaire, en particulier de ceux en charge de la sécurité des dirigeants des pays, fournit des services de renseignements et vend des armes aux Etats africains au risque d’alimenter les conflits sur le continent. Dans une de ses sorties médiatiques avant le début de la guerre en Libye, Kadhafi n’avait pas hésité à accuser Israël d’être derrière la plupart des conflits en Afrique . En effet les entreprises israéliennes de conseil en défense et sécurité sont reconnues pour leur rapidité à proposer leurs services dans les pays en guerre en termes de conseil militaire, d’armement, de formation des troupes allant même certaines fois jusqu’à s’impliquer dans l’organisation de coups d’Etats . Ces entreprises, bien que privées, sont très liées au ministère de la défense israélien (Tsahal) et au service secret israélien (Mossad) qui supervisent leurs actions et veillent à ce qu’elles soient en accord avec les intérêts israéliens en Afrique.
La coopération en matière de sécurité offerte par Israël via ses entreprises de conseil en défense intéresse plus spécialement les pays africains peu ouverts au jeu démocratique où l’usage de la force par la classe politico-militaire au pouvoir prime sur le dialogue avec les citoyens. Comment ne pas comprendre alors l’intérêt de pays comme le Togo à soutenir Israël en échange de plus d’armes, de renseignement et de formation pour leurs militaires? Le Togo étant loin d’être un pays en conflit avec ses voisins, on se doute bien que les formations données et les armes fournies doivent bien être utilisées à un moment ou à un autre. Et bien souvent ce sont les citoyens togolais qui en subissent les conséquences et paient la facture.
En 2013, le montant des achats de matériels de sécurité par le Togo à Israël se chiffrait à 191 millions de dollars (soit 105 milliards de F CFA) alors que le budget alloué à la santé des citoyens togolais la même année se chiffrait à 44 milliards de F CFA . La sécurité avant le bien être humain, pourrait on dire. Et pour couronner cette « bonne coopération », un Sommet Israël-Afrique portant sur le thème « Sécurité et Développement en Afrique » devait se tenir à Lomé à l’automne 2017. Un sommet qui a été reporté sine die à cause du soulèvement des populations togolaises pour une meilleure gouvernance de leur pays et une alternance au pouvoir. Un report qui a énormément déplu aux opérateurs du « Security Business » israélien en Afrique qui y avaient vu une occasion d’élargir le champ d’intervention de leurs « affaires juteuses » sur le continent. L’autre groupe des déçus de ce report était les commissionnaires de toute sorte qui se retrouvent dans l’armée et les cabinets présidentiels en Afrique et qui s’enrichissent outrageusement grâce à la corruption engendrée par les ventes d’armes et autres matériels de sécurité.
Mais, qui sème le vent récolte la tempête, selon l’adage. A semer le vent des conflits par la vente d’armes aux pays africains, en les attisant via les conseillers en défense et en apportant son assistance technique à des pouvoirs autoritaires, on finit par récolter l’arrivée de nombreux demandeurs d’asile et réfugiés sur son sol. Les malheureux Africains qui se décident à traverser le Sinaï ou la mer rouge à la recherche d’un asile sur les saintes terres israéliennes finissent souvent par regretter leur choix face au racisme et à la discrimination qu’ils subissent dans le pays qui, selon les Américains, respectent le plus les droits humains au Moyen Orient. La récente polémique causée par la décision israélienne de renvoyer environ 40000 demandeurs d’asile d’origine africaine sur le continent et dans des pays africains autres que leur pays d’origine, moyennant 5000 euros par migrant accueilli par le pays, est venu confirmer la mauvaise perception qu’ont les Israéliens des pauvres damnés fuyant les conflits dans leur pays.
Un dernier secteur dans lequel se manifeste la présence israélienne en Afrique est celui des mines et de l’industrie des pierres précieuses, notamment le diamant. En l’absence d’une vaste couverture de l’Afrique par son réseau diplomatique, Israël se repose sur le réseau étendu qu’offrent ses sociétés privées spécialisées dans l’exploitation et le commerce des pierres précieuses. Ces dernières diversifient de plus en plus leurs activités et se lancent dans le secteur minier. Le Togo se retrouve également dans la liste des pays africains qui ont bradé les minerais les plus importants de leur sous-sol à des sociétés israéliennes. Ainsi l’exploitation des gisements de phosphates, la ressource minière majeure du Togo, est-elle opérée par des Israéliens sans que les acteurs togolais aient un réel contrôle sur les quantités produites. Les recettes ainsi générées par l’exploitation de ce minerai se retrouvent bien plus dans les poches des investisseurs israéliens que dans les caisses de l’Etat pour pouvoir servir au développement du pays.
Il n’est guère besoin de souligner les affaires de corruption qui entachent souvent la cession et l’exploitation des minerais dans les pays africains aux investisseurs israéliens. Le scandale en Guinée sur le contrat d’exploitation de l’important gisement de fer de Simandou octroyé à la société israélienne Beny Steinmetz Group Ressource (BSGR) en est une preuve supplémentaire. Les affaires de corruption liées à ce scandale ont touché les plus hauts sommets du pouvoir guinéen sous l’ère des présidents Lansana Conté et Dadis Camara. Cela est venu confirmer à quel point les investissements étrangers en Afrique sont bien loin de répondre aux besoins des citoyens des pays concernés et ne satisfont en réalité qu’aux intérêts des pays dont sont originaires les investisseurs et à quelques groupes des classes dirigeantes africaines.
Le Boycott en Afrique pour soutenir les Palestiniens
Les liaisons dangereuses entre l’Etat d’Israël et les classes dirigeantes de nos pays africains ne peuvent faire accepter aux citoyens conscients le silence coupable de nos Etats face aux exactions commises sur le peuple palestinien. Le souvenir de notre passé colonial nous incite d’ailleurs à une solidarité active à l’endroit des territoires palestiniens colonisés par l’Etat d’Israël. Il est souvent difficile aux citoyens africains de percevoir tous les tenants de ce conflit qui cristallise souvent les tensions au sein même de nos pays. Pour de nombreux citoyens africains, le conflit israélo-palestinien n’est pas perçu comme un fait colonial mais plutôt comme une guerre de religion entre juifs et musulmans. Cette perception est valorisée très largement par les lobbys du renouveau charismatique et les pasteurs de la théologie de la prospérité en Afrique. Tout comme leurs homologues des Etats Unis, ils confondent l’Etat d’Israël actuel et le peuple israélite biblique dans sa quête de la Terre promise en Palestine. La passion du Christ liée à Jérusalem, le lien entre les traditions hébraïques et l’Ancien Testament alimentent des pèlerinages massifs de chrétiens en Terre Sainte. Ce qui contribue à entretenir une certaine alliance judéo-chrétienne dans l’optique d’une nouvelle croisade religieuse des bons chrétiens/juifs contre les mauvais musulmans amalgamés terroristes. L’image d’Israël en sort alors grandie.
Difficile de faire comprendre aux pasteurs lobbyistes pro-israéliens du renouveau charismatique, que le nœud du problème dans cette contrée du Moyen-Orient est l’occupation violente et coloniale de la Palestine par l’Etat hébreux. Il est nécessaire pourtant de les éclairer sur la composition du peuple palestinien, un mélange aussi bien de musulmans que de chrétiens et d’athées qui vivent tous sous l’occupation israélienne et souffrent des mauvais traitements infligés par ses soldats. Il est aussi important de rappeler que bien avant la création de l’Etat d’Israël en 1948, par des groupes de colons juifs , venus majoritairement d’Europe et des Etats Unis à la suite du génocide de la seconde guerre mondiale, les musulmans, les chrétiens et les juifs coexistaient pacifiquement dans ce territoire appelé Palestine sous occupation ottomane puis britannique. Il est fondamental de démontrer à tous que le soutien inconditionnel des Etats-Unis à Israël est dû au lobby juif états-unien et à la nécessité de maintenir cet allié en place au Moyen-Orient pour protéger l’approvisionnement américain en pétrole en créant un équilibre de la terreur dans la zone. Et enfin il est essentiel de présenter les évolutions de la géopolitique au Moyen-Orient qui font que les meilleurs amis d’Israël actuellement sont : l’Arabie Saoudite, l’Egypte et les Emirats Arabes Unis. Une compréhension de cette histoire et du contexte actuel est un préalable nécessaire pour quitter l’analyse dictée par les religieux et affirmer le caractère indépendantiste de la lutte du peuple palestinien.
Les indépendances africaines ont été acquises bien souvent dans la lutte contre les puissances colonisatrices occupant nos terres, contre les élites locales corrompues et contre leurs bras armés locaux. Nos luttes d’indépendance ont suscité beaucoup d’élan de solidarité dans le monde. Il nous appartient en tant que citoyen africain et en hommage aux héros de nos luttes d’indépendance, d’apporter cette même solidarité à la Palestine. Le rôle des citoyens africains est plus que jamais crucial à l’heure où la solidarité de bloc longtemps affichée par l’Union Africaine au profit de la Palestine se désintègre face aux opérations de séduction menées par l’Etat hébreux à l’endroit des dirigeants africains. Les citoyens africains se doivent de rendre plus visibles et de dissocier leurs actions de solidarité de celles de leurs Etats ou de leurs dirigeants facilement corruptibles par les groupes d’intérêts israéliens en Afrique. Faute de pouvoir interpeller directement les autorités sur leur position dans chacun de nos pays africains alliés d’Israël, le développement de campagnes de boycott des produits israéliens importés en Afrique et la dénonciation du commerce des armes entre nos pays et Israël sont des pistes à explorer.
Le boycott est une action puissante qui vient encore de montrer son efficacité récemment au Maroc en faisant plier le géant industriel français DANONE . Le boycott est une arme citoyenne pour lutter contre l’exportation vers l’Afrique de biens produits dans les colonies israéliennes en Palestine. Le boycott, au-delà de l’action individuelle, symbolise un engagement assez fort pour réclamer la justice pour les Palestiniens. Il nécessite toutefois une connaissance du système d’étiquetage des produits qui n’est pas courant en Afrique. Qu’à cela ne tienne les citoyens africains peuvent encore jouer leur partition en demandant que les produits importés d’Israël vers le continent soient étiquetés en fonction de leur provenance ou non des territoires colonisés en Palestine. L’Afrique du Sud est pionnière en ce sens sur le continent pour avoir exigé un étiquetage des produits en provenance d’Israël pour reconnaitre ceux fabriqués dans les colonies israéliennes en Palestine . Enfin les mobilisations autour d’une campagne de boycott en Afrique pourraient permettre de briser la chaine d’approvisionnement en matériel de sécurité depuis Israël qui alimente la répression contre les mouvements sociaux en Afrique et crée des guerres sur le continent. L’appel au boycott de l’achat d’armes israéliennes et de leurs services de conseil en défense ne peut qu’être salutaire pour assurer que les dépenses publiques de nos pays profitent prioritairement au développement social et non au développement sécuritaire.
[…] Regards d’acteurs: Conflit Israélo-Palestinien […]
Bien détaillé