Car aujourd’hui, c’est bien une crise démocratique et citoyenne que nous vivons, une démocratie qui aurait malgré nous perdue de son essence et surtout de sa splendeur.
Citoyens désimpliqués, boudant les urnes et les débats politiques, c’est toute la question de la représentativité et de la légitimité du pouvoir qui est posé.
On n’y croit plus, on ne s’ y intéresse plus, on rejette notre devoir de citoyen en signe de protestation, de déception ou pire …de totale indifférence, allant chercher dans d’autres sphères (associatives, culturelles, virtuelles…) notre besoin de sens, d’action et de lien social.
Le citoyen traverse une crise deconfiance profonde : en ses représentants, en son système politique…en sa propre capacité à agir pour sa cité.
Oui, la démocratie est malade. Mais quel est ce mal qui la ronge ? Quelles en sont les causes et surtout quels seraient les remèdes pour lui redonner toute sa force et vigueur ?
On murmure dans certains cercles que ce serait les medias qui l’auraient peu à peu affaiblie ; principale source d’informations des citoyens (télévisions, radios, journaux, magazines, Internet..) ces médias nous informent souvent mal en matière de politique et d’économie, quand ils ne nous désinforment pas. Leur rôle est pourtant si fondamental…
De nombreux intellectuels accusent aussi l’avènement d’un système oligarchique(« L’oligarchie ça suffit, vive la démocratie ! » nous crie Hervé Kempf), mettant en exergue la concentration croissante du pouvoir décisionnel par une élite restreinte de dirigeants politiques, de grands chefs d’entreprises, d’acteurs financiers et de journalistes influents. Caste de plus en plus puissante, ils délibèrent entre eux de décisions s’appliquant à l’ensemble de la population, ayant pour unique finalité leurs intérêts personnels…au détriment du « bien commun ».
On dénonce aussi l’inaptitude criante des institutions à répondre aux besoins de notre société en mutation.
Les citoyens sont résignés ; se sentant impuissants ils se désinvestissent de la vie de la cité….ce qui questionne le sens même de leur citoyenneté. Car si être citoyen est un droit, n’est-ce pas également un devoir ?
Je m’interroge d’ailleurs sur cette crise citoyenne. Si celle-ci est en grande partie due à un manque de confiance et une déception vis à vis d’un système politique aujourd’hui défaillant, n’y a t-il pas également un véritable désintérêt citoyen ?
Exacerbation de l’individualisme et des identités, hégémonie du dépassement de soi, l’épanouissement personnel a pris le pas sur notre devoir civique.
Qu’avons-nous donc fait des valeurs et des principes prônés par la démocratie naissante de 1789 ? Les principes fondateurs de notre démocratie, que sont la liberté et l’égalité.
Serions nous, citoyens français, des enfants trop gâtés, « utilisant » cette liberté pour laquelle nos ancêtres révolutionnaires se sont battus dans le sang, à des fins uniquement personnelles ? La liberté ne serait-elle pour nous qu’un dû ?
Comment pouvons nous prétendre user de nos droits, sans en assumer le devoir ?
Rejetant sa responsabilité citoyenne, davantage à la recherche d’un épanouissement personnel, l’individu privilégie l’entropie communautaire à la notion d’esprit public. Déséquilibre manifeste des forces : la démocratie est menacée (Je m’interroge d’ailleurs sur ce qu’advient dans notre société la notion « d’égalité », deuxième principe démocratique. Comment revendiquer l’égalité sans assumer notre responsabilité et identité citoyenne ?)
Mais alors comment redonner du souffle à notre démocratie ?
Comment concevoir, à l’ère de l’individualisme collectif, un destin commun?
Cynthia FLEURY est Philosophe et psychanalyste, chercheuse au Muséum d’Histoire Naturelle, spécialiste sur le sujet de la démocratie et des comportements citoyens. Elle nous apporte aujourd’hui son éclairage.
Face à cet individualisme collectif se pose la question essentielle de la régulation, celle-là même que doit par définition exercer le peuple si l’on veut garantir l’équilibre démocratique.
Rappelons tout d’abord que la démocratie n’est pas que procédurale (sanction par le vote), elle est plus large et universelle, à travers notamment l’exercice de la rationalité publique. En d’autres termes, le vote n’est pas la seule action citoyenne !
Nous avons besoin, nous dit Cynthia, de passer de la contestation (une souveraineté négative, exercée par sanction et veto) à la régulation démocratique (souveraineté positive), et ce, par des propositions citoyennes, des expertises civiles et par la construction collective d’une opinion. Nous avons besoin d’une dynamique citoyenne.
Car la Démocratie est l’expression de la volonté générale (et non tyrannie de la majorité). Le peuple ne peut pas se satisfaire d’une souveraineté négative. Il a donc besoin de prendre la parole (Socrate ne nous apprenait-il pas que la démocratie était le libre usage de la parole ?). Il doit s’exprimer au moment du scrutin mais aussi au quotidien, pour enfin sortir de cette démocratie intermittente que nous vivons aujourd’hui.
Si la parole est outils de régulation, le peuple a non seulement besoin de s’exprimer, échanger, proposer …mais a aussi besoin de transparence et de Vérité ; nous avons besoin de la « parrêsia », le « dire vrai ». (La démocratie est abordée par Foucault à travers le dire–vrai (la « parrêsia »), c’est-à-dire à travers la prise de parole de celui qui se lève dans l’assemblée et prends le risque d’énoncer la vérité en ce qui concerne les affaires de la cité. La parrêsia, selon Foucault, restructure et redéfinit le champ d’action possible aussi bien pour soi, que pour les autres. Elle modifie la situation, elle ouvre à un nouvelle dynamique puisque précisément elle introduit quelque chose de neuf (Michel Foucault, Le courage de la vérité, Seuil, 2005).
@ radio28.be
N’est-il effectivement pas temps que l‘on se lève et prenne des risques, pour « parler vrai » et sortir d’un consensus qui, justement sous couvert de démocratie, nous immobilise ?
N’est il pas temps de réhabiliter la subjectivité et la différence au coeur du débat ?
Il nous faut donc faire preuve de COURAGE, d’AUDACE démocratique !
Car la démocratie doit lutter contre ces deux grands simulacres que sont le système(terme qui permet de trouver des alibis à toutes les paralysies) et cette idée d’une régulation automatique. La démocratie ne peut tenir sans les hommes, c’est un régime qui doit être vivant et quotidiennement réinventé.
Le peuple a besoin d’espaces publiques et d’assemblées parresiastiques pour créer les conditions d’une vision commune.
Le rôle de l’éducation (et de la transmission au sens large) est crucial. Nous manquons de savoirs, de formation et d’engagement (il appartient à chacun de faire cet effort de citoyenneté).
« Pour réguler la démocratie, nous avons besoin d’une citoyenneté investie », conclue Cynthia Fleury.
education.francetv.fr
Peut-être devons nous apprendre autrement la démocratie à nos enfants, leur dire que ces trois mots jadis inscrits sur nos pièces « Liberté Egalité Fraternité » ne sont pas le slogan publicitaire d’un temps passé et révolutionnaire, mais bel et bien le fondement de ce qui nous rend libres aujourd’hui.
Peut-être devrions nous réapprendre cela aux adultes aussi …car on oublie. Comme on oublie également que dans d’autres pays, et ils sont nombreux, la liberté, et notamment celle de la parole, n’est encore que lointaine utopie…
Alors lançons la dynamique en redonnant l’espoir d’un mieux. « Revigorons le participatif, éclairons le citoyen et impliquons le », nous conseille Dominique Bourg.
Faisons vivre autrement notre citoyenneté.
Et demain ?
responsabilite-societale.fr
Dans le nouveau monde la régulation citoyenne s’opère grâce à des collectifs engagés comme le collectif Roosevelt(http://www.roosevelt2012.fr), des mouvements citoyens comme les Colibris(qui soutiennent un nouveau projet de société, http://www.colibris-lemouvement.org) et des citoyens investis. De nouveaux modes de représentation politique sont ainsi inventés.
Le citoyen auparavant résigné …s’est indigné ! ( Mouvement des indignés – http://www.scienceshumaines.com/indignes-les-nouvelles-formes-de-protestation_fr_28437.html).
Insurrection des consciences, actions pour une société plus juste, la dynamique, ici, est lancée.
Le Nouvel Observateur- juillet 2013
Le 4 novembre 2011, les Indignés occupent le parvis de la Défense. Photo – Christophe Petit Tesson
democratie-participative, contrepoints.org
Dans le nouveau monde on parle dedémocratie participative et d’open démocratie, avec l‘open data public, mais aussi avec Parlement & Citoyens, une plateforme on line qui permet à tous de participer à l’élaboration de propositions de lois de députés et sénateurs inscrits sur le site (https://www.parlement-et-citoyens.fr).
Dans ce nouveau monde, les medias retrouvent alors peut être tous leur sens, celui de réconcilier société civile et politique. Ils parlent aussi des « solutions » et non plus uniquement des problèmes (www.sparknews.com), ils portent de l’espoir, ainsi que de la matière à penser …et à agir. Ils nous éclairent, nous construisent et nous inspirent.
La démocratie est souffrante, oui, mais notre exploration dans le monde d’après me redonne de l’espoir, celui d’un futur où la démocratie aussi s’est réinventée.
Alice Vivian
Merci à Cynthia Fleury, Dominique Bourg et Claire de Chessé d’avoir partagé avec nous leurs savoirs et leur vision de la démocratie ; une vision historique, philosophique et éminemment vivante, proposant des actions concrètes et des pistes pour agir.Merci de m’avoir réconcilié aujourd’hui avec ma propre citoyenneté.
http://labsession.fr/crise-de-la-citoyennete-quelle-democratie-pour-demain/