Face aux changements climatiques : Partir ou mourir ?
par Samir ABI
Au moment où débute la 19 ème conférence des parties (COP) de la convention cadre des Nations Unies sur le changement climatique, il apparait important de revenir sur les récentes tragédies dans le désert du Niger, et au large de l’île italienne de Lampedusa, où des centaines d’Africains ont perdu la vie, innocentes victimes de politiciens qui rejettent, à tout prix, le droit naturel et inné à tout être vivant à la migration. La majorité de ces hommes, femmes et enfants ayant péri dans ces ignobles conditions, venaient de zones où le désert prend progressivement le pas sur la savane, suite aux changements climatiques.
Rares sont les scientifiques qui osent encore réfuter l’inéluctable changement des conditions climatiques en cours sur notre planète. Les peuples du Sud, en particulier, n’ont plus besoin des démonstrations du groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC) pour être convaincus que les inondations, vagues de sécheresse, invasions des cours d’eau, et autres catastrophes naturelles qu’ils n’arrêtent pas de subir ces dernières années, sont autant de conséquences de ce changement. En effet, la Terre se réchauffe, et le climat se déchaîne en réponse à deux cents ans d’exploitation anarchique des ressources naturelles par une société dite de consommation. La course permanente à l’enrichissement individuel, et au plus gros PIB pour les pays, érigée en valeur suprême par la philosophie hédoniste ambiante et les institutions économiques internationales a conduit à toutes les déviations et à des crises mortifères pour l’espace humaine. Qu’elles soient financières, alimentaires ou climatiques, toutes les crises ont pour point commun de plonger l’homme dans une situation de désolation et de mort imminente auxquelles il ne peut échapper, que par la fuite en avant.
Partir ou mourir ?
En Afrique orientale, le lac Turkana, originellement d’une surface de 8500 km², ne couvre plus que 6405 km², et ne cesse de se réduire. La situation de ce lac est symptomatique de celle de milliers d’autres cours d’eau sur le continent africain. Le lac Turkana est à la fois victime de l’avancée du désert qui l’entoure, et de la construction, financée par la Banque Mondiale, d’un barrage hydroélectrique sur le fleuve Omo, sa source principale d’alimentation en eau. Dans cette partie désertique de la corne de l’Afrique, les populations d’éleveurs dépendent du lac Turkana pour abreuver leur bétail de bovins et de caprins. La réduction inlassable de la superficie du lac, et les sécheresses à répétition qui ont conduit à la raréfaction du pâturage, ont décimé les troupeaux des pauvres éleveurs vivant déjà dans une extrême précarité. Pour survivre et faire survivre leur famille, bien des éleveurs ont dû se reconvertir en pêcheurs. Les poissons, eux aussi victimes du réchauffement, se raréfient sur les berges s’enfonçant toujours plus dans les profondeurs des eaux. Comment peut-on pêcher en eau profonde sans bateau et filets adaptés ? Face aux ressources de plus en plus rares, et à une survie plus que jamais aléatoire, les conflits se sont multipliés au sein des communautés venant ainsi ajouter à la tragédie du bétail, des tragédies humaines. Un telle équation de malheur ne pouvait se résoudre que par un choix: Partir ou mourir?
Tsaouni, commune de Kantché, région de Zinder, Sud du Niger. Le petit village est encore sous le choc de la mort de 44 de ses fils et filles, dénombrés parmi les 92 migrants décédés dans le désert il y a un mois. « C’était nos jeunes, nos enfants, notre avenir », confie, en langue Haoussa, une grand-mère. Dans ce village en voie de dépeuplement, il ne reste que les vieux pour pleurer le sort de leur progéniture partie à la recherche de travail. La région est aride, et le manque de pluie a rendu obsolète toute volonté de développer des surfaces agricoles. En 2006, une tournée dans cette région du Niger, nous a fait découvrir la réalité de l’extrême dénuement, et celle des problèmes sanitaires liés au manque d’assainissement dans l’une des contrées les plus pauvres d’Afrique. Peut-on reprocher à ces jeunes de vouloir s’en sortir en entreprenant, au péril de leur vie, un voyage pour leur survie? Ce n’est pas parce que l’on a soif que l’on doit se jeter dans un puits, mais, en s’y jetant, il reste encore l’espoir d’y trouver de l’eau.
Goumou-Kopé, sur le littoral atlantique du Togo, est un autre de ces villages condamnés à une mort inéluctable par la hausse de la température. Après des années de lutte contre l’avancée de l’Océan, les habitants n’entrevoient plus leur salut que dans un départ vers les terres plus hospitalières de la banlieue de Lomé, des bidonvilles de Cotonou au Bénin, ou de Lagos au Nigéria. Une chose est sûre, on ne pourra pas leur reprocher de n’avoir pas essayé de s’adapter aux changements climatiques.
Migration : l’ultime adaptation
Depuis le COP 13 à Bali en Indonésie, les négociations multilatérales sur le changement climatique se concentrent sur les mesures à prendre pour atténuer la hausse de la température, et s’y habituer. Au-delà des conciliabules politiques, et des engagements jamais tenus, pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, n’attendant plus rien de ces négociations à répétition qui s’étirent en longueur, les populations ont trouvé dans la migration l’ultime échappatoire à la crise climatique.
Selon une étude publiée en 2010 par l’Organisation Internationale pour la Migration, ils étaient 38 millions de déplacés pour des raisons liées à l’environnement, contre 15 millions de réfugiés et de demandeurs d’asile pour cause de guerre, selon les données du Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés. Le changement climatique est ainsi devenu la première cause de migration des populations du Sud, loin devant les guerres, la famine, le chômage…
L’urgence de fuir les terres arides, et la mer qui avance, pour survivre, se heurte pourtant au refus de beaucoup d’États de reconnaitre le statut juridique des migrants environnementaux. Ces migrants sont ainsi obligés de rejoindre de nouvelles zones à risque dans les bidonvilles des capitales de leur pays où de nouvelles catastrophes naturelles peuvent surgir à tout moment. Un pas a certes été franchi, il y a un an, en Afrique, avec l’entrée en vigueur de la convention de Kampala sur les déplacés internes. Premier traité du genre dans le monde, cette convention offre un statut juridique, une protection, et garantit l’assistance à toutes les victimes de catastrophes naturelles en Afrique, réfugiées dans leur propre pays. Seule une vingtaine de pays africains l’ont ratifié. Cet effort fait au niveau africain doit toutefois être salué, en comparaison de la politique de l’autruche des pays du Nord, de l’Union Européenne, et des États Unis en particulier.
Bien qu’historiquement responsable de la situation climatique actuelle et de ses conséquences, les pays du Nord se refusent toujours à poser des actes significatifs en réparation au mal commis. Les scénarios catastrophes ont beau se dessiner à l’horizon, l’intérêt du marché et de la finance internationale a plus que jamais le dessus sur la survie de l’espèce humaine. Les morts qui gisent dans la méditerranée, et à la frontière sud des États Unis ne doivent pas encore être assez nombreux pour susciter l’émoi. Un regard du côté de nos voisins les animaux laisse voir comment ces êtres, censés être dépourvus de raison, s’adaptent aux changements climatiques par la migration. En somme, dans le monde fini du 21ème siècle, mieux vaut être un poisson en mer ou un oiseau dans les airs, qu’un Mexicain, un Congolais ou un Bengali, pour pouvoir partir dignement au loin, et échapper à l’appel de la mort.
un article intéressant qui qui met l’accent sur les conséquences des changements climatiques et surtout les longues conventions et conférences à répétition qui ne débouchent jamais sur du concret surtout s’il s’agit des fonds ou ressources à mobiliser pour la cause humaine sans intérêt partisan. mais comment faire entendre raison aux politiques qui détiennent la clé d’un système verrouillé internationalement? comme le disent les anglais « that is the question… »