UNE VISITE A LA MAISON DES ESCLAVES
Par Louise BATARD, stagiaire française au Togo
En marge de la sortie pique-nique dominicale organisée par Visions Solidaires dans la préfecture des Lacs, du côté est du Togo, à proximité du Bénin, nous avons pu visiter la maison des esclaves d’Agbodrafo. Voici des extraits de retranscription de l’histoire du commerce des esclaves dans cette maison telle que nous l’ont racontés les guides…
« Le tout a démarré à partir de 1830 et puis s’est terminé en 1852. La traite nègrière arrivait officiellement alors à sa fin avec son abolition par de nombreux pays européens. Va alors commencer une période clandestine de traite sur les côtes du Golfe de Guinée. C’est à ce moment là qu’il y a eu certains marchands, hésitant à arrêter, qui ont décidé d’aller se cacher quelque part pour continuer la traite en toute clandestinité. Et ils avaient choisi ce site. Arrivés ici, ils avaient construit ce bâtiment au milieu d’une grande forêt. De la maison à la mer il y avait plus de 1,5 km, distance qui empêchait le bateau britannique qui faisait la lutte contre la traître de savoir ce qui se passait ici.
Quand on revient maintenant à ce bâtiment, l’ensemble architectural est dénommé style afro-brésilien. La maison dispose de 2 niveaux, c’est-à-dire, le rez de chaussée, qui était réservé aux négriers, et le bas ou la cave qui était réservé aux esclaves. Le bâtiment fait 21,60 x 9,95m avec 6 chambres à l’intérieur et puis ce salon et le couloir. Mais tel qu’on l’a dit, tout le bas est composé de caves, avec 1m/1,50 m de hauteur à peu près. C’était juste comme les mesures des cales des bateaux. Les négriers disaient aux esclaves «Apprenez d’ores et déjà à partir d’ici comment vous devez vous tenir dans le bateau pendant le voyage.» Les négriers étaient eux libres là en haut dans leurs chambres respectives. Ils avaient tout à leur disposition. Les négriers au départ étaient portugais, après il y a eu les français, les hollandais, les allemands, et puis les écossais.
Ici, nous sommes dans le salon, salon de l’époque nommé salon d’honneur. Et à ce moment là, les esclaves ne venaient ici que sur autorisation. Vous voyez les chambres des négriers. Les meubles sont des meubles témoins et sans oublier ce plancher d’origine, seul séparation entre la cave et le rez de chaussée. Et encore à cette table là, où ils s’asseyaient en mangeant à satiété, en buvant du bon vin et en faisant toutes les discussions possibles pendant que ces esclaves étaient toujours enfouis sous leurs pieds dans la cave, attendant ce que leur avenir leur réservait.
Mais par contre dans la cave malheureusement, nos ancêtres se couchaient à même le sol, ni matelas, ni natte, ni couverture, enchaînés tout le temps, comme des prisonniers. Ce n’est pas tout. Pendant les nuits, les négriers reprenaient de la cave les plus belles parmi nos ancêtres femmes, pour leurs satisfactions nocturnes. Si les femmes tombaient enceintes, ça augmentait la valeur de la femme – «un esclave bonus». Les femmes étaient donc placées auprès de la trappe, pour que le choix soit plus facile et plus rapide, et parfois même avec des enfants.
Et en revenant à nos ancêtres, ils venaient de partout, jusqu’à l’extrême nord du Togo. Les « prises » étaient souvent des kidnappings ou des dénonciations. Après leur capture, ces esclaves étaient regroupés sur un marché. C’est là où se passaient les échanges, c’est-à-dire, ils donnaient les esclaves et les « marchands » prenaient les pacotilles. Et après ce sont les négriers qui ramenaient les esclaves dans cette maison en les faisant passer dans les ouvertures en demi cercle sous le bâtiment. C’est par là que les esclaves passaient pour rentrer. Mais pour rentrer, ils le faisaient à 4 pattes, et arrivés jusqu’au milieu de la cave, leurs positions étaient assises, accroupis et puis couchées, pendant plusieurs semaines en attendant l’arrivée du bateau. Il y avait à peu près une centaine d’esclaves dans la cave par arrivage. Quand le bateau arrivait, ils ressortaient pour prendre le dernier bain. Les négriers les obligeaient à marcher 7 fois autour du puits pour qu’ils ne puissent jamais retrouver le chemin de la maison s’ils venaient à fuir. Après ils les mettaient dans les chaloupes et ensuite dans le bateau vers la destination finale.
Mais comme vous le savez, c’est une histoire qui nous concerne encore aujourd’hui et qui doit forcément concerner les générations futures. »
Faisons notre devoir de mémoire.