ÉDUQUER AUX DROITS HUMAINS AU TOGO, POURQUOI, COMMENT ?
(par DEDO Komi, Représentant de la Commission Nationale des Droits de l’Homme pour la région de la Kara)
La méconnaissance et le mépris des droits de l’homme ont conduit à des actes de barbarie qui révoltent la conscience de l’humanité. Ainsi, l’avènement d’un monde où les être humains seront libres de parler et de croire, libérés de la terreur et de la misère a été proclamé comme la plus haute aspiration de l’homme. Pour éviter que tels actes de barbarie ne se reproduisent, la communauté internationale a adopté le 10 décembre 1948, la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (DUDH). Conscient de l’importance des droits proclamés dans cette déclaration et de leur respect dans un Etat, le constituant togolais a dans le préambule de la constitution de la 4ème République mis l’accent sur la garantie et la protection des droits fondamentaux, des libertés et la dignité de la personne humaine. Tout ceci ne peut être effectif que lorsque les populations y sont éduquées et connaissent leur bien fondé. En effet, grâce aux droits humains et aux libertés fondamentales, l’homme arrive à développer et à utiliser pleinement ses qualités humaines, son intelligence, ses talents et sa conscience. Le déni de ces droits et libertés crée un climat d’agitation social et politique, semant des graines de la violence et des conflits au sein des sociétés et des nations.
Au Togo, pour éviter les conséquences fâcheuses dues au non respect des droits humains et des libertés fondamentales, une institution nationale des droits de l’homme a été créée pour les promouvoir et les protéger. De leur côté, les organisations de la société civile (OSC) œuvrant dans le domaine des droits humains jouent aussi leur partition dans l’éducation des populations aux vertus des droits humains. Qu’est ce que l’éducation aux droits humains ? Pourquoi est-il nécessaire au Togo, d’éduquer aux droits humains ? Comment faudra-t-il procéder pour y arriver ? Telles sont les questions auxquelles nous essayerons de répondre avant de présenter l’expérience de la CNDH en matière d’éducation aux droits humains.
1) Qu’est ce que l’éducation aux droits humains ?
L’éducation aux droits humains (EDH) désigne globalement le mouvement qui est né dès 1948 avec la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (DUDH) et qui s’est développé particulièrement lors de la décennie 1990 en vue de promouvoir la culture des droits de l’homme auprès d’un large public. C’est un ensemble d’activités éducatives menées auprès des enfants et des jeunes en vue de développer des attitudes et comportements respectueux des valeurs humaines envers soi et envers les autres. C’est aussi les activités de formation et d’information visant a faire naître une culture universelle des droits de humains en inculquant les connaissances, les qualités et les aptitudes de nature à :
Renforcer le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales,
Assurer le plein épanouissement de la personnalité humaine et du sens de la dignité,
Favoriser la compréhension, la tolérance, l’égalité des sexes et l’amitié entre toutes les nations, les populations autochtones et les groupes raciaux, nationaux ethniques, religieux et linguistiques,
Mettre toute personne en mesure de jouer un rôle utile dans une société libre,
Contribuer aux activités des Nations Unies dans le domaine du maintien de la paix.
L’éducation aux droits humains doit inclure des valeurs telles que la paix, la non discrimination, l’égalité, la justice, la non violence, la tolérance, et le respect de la dignité humaine. L’éducation de qualité basée sur l’approche fondée sur les droits humains signifie que les droits sont réalisés à travers l’ensemble du système éducatif et dans tous les secteurs de l’apprentissage.
2) Éduquer aux droits humains au Togo pourquoi ?
Plusieurs raisons peuvent expliquer le bien fondé de l’éducation aux droits humains au Togo. Il s’agit d’une part d’une exigence de la communauté internationale. En effet, depuis l’adoption de la déclaration universelle des droits de l’homme en 1948, l’Assemblée Générale a invité les Etats membres et tous les secteurs de la société civile à diffuser ce texte fondamental. En 1993, la conférence mondiale sur les droits humains a aussi affirmé l’importance de l’éducation, de la formation et de l’information. Elle a par ailleurs affirmé que «l’éducation dans le domaine des droits humains, loin d’être qu’un moyen d’inculquer des connaissances doit être un processus global sur toute une vie, grâce auquel tout individu quelque soit le niveau de développement, de la société dont il fait partie et à quelque couche de celle-ci qu’il appartienne apprend le respect dû à la dignité d’autrui ainsi que les procédés et les méthodes propres à assurer ce respect dans toutes les sociétés ». Le Togo, en sa qualité de membre des Nations Unies ne saurait rester en marge de cette recommandation.
Au-delà de cette exigence de la communauté internationale, l’éducation aux droits humains d’autre part, s’impose au Togo dans la mesure où le pays n’est pas épargné par la violation de ces droits que beaucoup de nos compatriotes ignorent. L’éducation aux droits humains doit commencer par la promotion du droit à l’éducation. Aujourd’hui, beaucoup d’enfants ne sont pas envoyés à l’école et restent dans l’analphabétisme et l’ignorance totale face à l’évolution du monde. Du fait de l’analphabétisme, ils ignorent qu’ils ont le droit d’ester en justice pour régler les contentieux qui les opposent aux autres. Cette situation les amène à emprunter la voie de la violence qui n’est pas celle indiquée pour trouver des solutions à leurs problèmes.
Des enfants togolais sont victimes de trafic et sont exploités aussi bien au Togo qu’à l’extérieur du Togo. Ils sont le plus souvent poussés entre les mains des trafiquants par leurs propres parents analphabètes.
Le pays est toujours miné par des problèmes politico-ethniques qui trouvent un terrain favorable lors des élections pour faire surface à travers des manifestations violentes entrainant d’énormes pertes matérielles et en vie humaines.
Dans nos communautés règne en maître la discrimination faite aux femmes. En effet, les femmes n’ont pas droit à la parole lorsqu’il s’agit de prendre des décisions importantes concernant la vie de leur communauté. Elles sont victimes de mariages forcés et subissent des violences de toute sorte de la part de leur conjoint. A la mort de ce dernier ou d’un parent, l’héritage auquel elles ont droit est partagé entre les membres de leur belle famille ou entre leurs frères sans que rien ne leur soit réservé. Toujours au décès de leur mari, elles subissent des rites de veuvage auxquels les veufs ne sont pas soumis au décès de leur épouse.
Dans les universités publiques subsistent la violence et le vandalisme lors des manifestations en vue de réclamer l’amélioration des conditions d’étude. Les établissements scolaires ne sont pas épargnés par cette situation. On assiste lors de ces manifestations, à la destruction des bâtiments scolaires et des tables-bancs.
Dans les brigades de police et de gendarmerie, la torture a toujours droit de cité ; ceci en violation de l’article 21 alinéa 2 de la constitution togolaise de la 4ème République selon lequel : « Nul ne peut être soumis à la torture ou à d’autres formes de traitement cruels, inhumains ou dégradants ».
Dans les prisons, la violence est exercée sur les détenus aussi bien de la part de leurs codétenus que par des surveillants de prisons.
Malgré l’interdiction de la punition corporelle, les enseignants continuent de porter la main les élèves. Toujours dans les établissements scolaires, les élèves les plus forts exercent de la violence sur les plus faibles.
L’intolérance a gagné du terrain dans le cœur de nos concitoyens il suffit de faire un tour dans les rues des grandes villes du pays pour voir des pères de famille s’insulter pour de petits problèmes qu’on pouvait régler à l’amiable.
Les caniveaux qui doivent servir à l’évacuation des eaux usées et des eaux de ruissellement sont transformés en dépotoirs sauvages causant ainsi des inondations.
L’éducation aux humains doit permettre de conscientiser les populations non seulement jeunes mais aussi adultes sur les problèmes qui minent le pays. Comment alors procéder pour réussir cette éducation ?
3) Comment éduquer aux droits humains au Togo
Comme toute discipline enseignée à l’école, l’éducation aux droits humains doit se faire sur la base d’un programme bien conçu. Les enseignants en charge de cette discipline doivent être bien formés pour transmettre cette connaissance aux apprenants. Au lieu d’être un cours simplement théorique, l’éducation aux droits de l’homme doit être suivie d’exercices pratiques. Contrairement à la matière d’éducation civique et morale (ECM) qui aujourd’hui n’est enseignée qu’à l’école primaire, la matière d’éducation aux droits humains doit être obligatoire et affectée d’un coefficient assez élevé.
Outre l’éducation aux droits humains en milieu scolaire, l’enseignement de cette discipline doit aussi toucher les jeunes qui s’orientent vers l’apprentissage de métiers. Pour se faire, les responsables des ateliers de formation professionnelle et les membres des syndicats des différents corps de métier doivent être outillés en droits humains en vue de transmettre cette éducation à leurs apprentis.
Pour maintenir l’harmonie entre l’éducation en milieu scolaire et celle qui se donne à la maison, des sensibilisations régulières en la matière doivent être organisées à l’endroit des parents. Les programmes des chaînes de radio et de télévision doivent comporter des émissions portant sur l’éducation aux droits humains.
Cette éducation doit viser des objectifs tels que :
Le renforcement du respect des droits et les libertés fondamentales ;
Le développement du respect de soi et des autres (avoir le sens de la dignité humaine) ;
La garantie de l’égalité entre les sexes et de l’égalité des chances pour les femmes dans tous les secteurs ;
La promotion du respect, de la compréhension et de l’appréciation de la diversité culturelle ;
La responsabilisation de chacun dans le sens d’une citoyenneté active.
Si l’éducation aux droits humains est un sujet qui tien à cœur aux dirigeants du pays, que fait alors l’institution nationale chargée de protéger et de promouvoir les droits humains ?
4) Expérience de la CNDH en matière d’éducation aux droits humain
La CNDH est une institution de l’Etat, vieille d’une trentaine d’année. Chaque année elle produit son rapport d’activités dans lequel sont mentionnées les activités d’éducation aux droits humain qu’elle a réalisées. Il serait fastidieux de les citer toutes. Toutefois, nous essayerons d’énumérer en guise d’exemple quelques une parmi les plus récentes.
L’année 2008 a marqué la commémoration du 60ème anniversaire de l’adoption de la DUDH. Le thème choisi pour la célébration de cette journée était « Dignité et justice pour nous tous ». Pour célébrer cet anniversaire, la CNDH a initié plusieurs activités qui ont connu leur apothéose le 10 décembre 2008. Il s’agissait de sensibiliser les élèves de certains collèges de Lomé sur la DUDH, la convention relative aux droits de l’enfant et la CNDH. Cette sensibilisation a été suivie de la mise en place des clubs des droits de l’homme dans des établissements scolaires. Étant entendu que le thème retenu pour ce 60ème anniversaire vise à conscientiser aussi bien les pouvoir publics que les populations, un appel a été lancé à la mobilisation de tous afin que la jouissance des droits de l’homme soit effective partout. Les mêmes activités ont également eu lieu dans les antennes régionales de la CNDH à Atakpamé et à Kara.
Toujours en 2008, l’Antenne de la CNDH de la Kara a fait une tournée de sensibilisation dans les congrégations religieuses. Cette sensibilisation dans les paroisses de l’église catholique a porté sur les droits de l’enfant.
Sensibilisation des élèves des CEG et du lycée de Kétao
L’Antenne de la CNDH –Kara a organisé au Collège d’Enseignement Général (CEG) de Kétao, une séance de sensibilisation à l’endroit des élèves et enseignants de trois (03) établissements scolaires des 2ème et 3ème degrés de la localité le 30 mars 2012. Cette rencontre a regroupé les élèves et enseignants du lycée de Kétao, des CEG de Kétao et de Ewayiyo. La communication principale a porté sur « les droits de l’enfant ». Mais avant cette communication et comme de coutume, les élèves ont écouté un exposé sur la CNDH. Abordant la communication sur les droits et devoirs de l’enfant, il a été rappelé à l’assistance que les deux notions sont intimement liées et que nul ne serait se prévaloir d’un droit sans accomplir ses devoirs. Dès lors, les notions sur les droits et les libertés de l’enfant, ses devoirs envers toutes personnes et les institutions de la République, la culture de l’esprit de tolérance, de la non violence et de l’amour réciproque ont fait l’objet de discussion. Cette rencontre a été une occasion pour présenter aux élèves les principes cardinaux des droits de l’enfant à savoir : l’égalité et la non discrimination ; l’intérêt supérieur de l’enfant ; l’opinion de l’enfant dans toutes les procédures le concernant.
Sensibilisation des fidèles de l’église des Assemblée de Dieu de Kara Chaminade
Dans le cadre de son programme d’éducation aux droits humains, l’Antenne a organisé une séance de sensibilisation au profit des fidèles de l’Eglise des Assemblée de Dieu de Kara sur la problématique de la succession. Le choix de ce thème est justifié par le fait qu’aujourd’hui dans les différentes localités du pays dont la région de la Kara, la question relative à la succession se pose après le décès d’un parent. Les héritiers et héritières sont souvent confrontés aux us et coutumes qui ne respectent pas l’égalité des sexes et les droits des enfants.Dans son exposé l’orateur s’est d’abord appesanti sur la notion de succession et son ouverture. Il a ensuite énuméré les personnes habilitées à succéder et la qualité requise. Enfin, se fondant sur l’article 11 alinéa 1 de la Constitution togolaise du 14 octobre 1992, l’article 58 du Code togolais de l’enfant et l’article 431 du Code togolais des personnes et de la famille, l’orateur a mis l’accent sur les modalités de partage des biens entre les héritiers.
Sensibilisation des artisans et leurs apprentis sur les IST/VIH/SDA
En dépit de la mobilisation mondiale, le VIH/Sida continue d’infecter et d’affecter des millions d’individus dans le monde et particulièrement en Afrique subsaharienne. Consciente que ce fléau est une atteinte aux droits de la personne, la CNDH a inscrit depuis quelques années la sensibilisation sur un comportement responsable et la lutte contre la stigmatisation dans son programme d’action. C’est dans cette optique que l’Antenne régionale de la Kara a organisé le 26 septembre 2012 à la Chambre Régionale des Métiers (CRM) de Kara, une séance de sensibilisation sur les IST/VIH-SIDA, au profit des artisans et apprentis de la ville de Kara. La communication a tourné autour de la définition des IST/VIH/Sida, des différentes sortes d’infections sexuellement transmissibles, des différents modes de transmission et leurs manifestions.
Un accent particulier a été mis sur la prévention de la transmission mère-enfant (PTME), les mesures de protection préconisées lors de rapports sexuels et l’utilisation des médicaments anti-retro-viraux (ARV) en cas d’infection. Les débats ont porté essentiellement sur des questions relatives à l’efficacité des ARV, aux conditions de prise de ces ARV et aux risques liés aux rapports sexuels avec des séropositifs.
Sensibilisation des femmes de Kantè et des responsables de la communauté musulmane de Kara
Dans le cadre de la journée internationale de la femme, la CNDH a organisé une séance de sensibilisation à l’endroit des femmes de Kantè regroupées en association. Cette séance qui s’est déroulée au chef lieu de la préfecture de la Kéran a eu pour thème « une promesse est une promesse il est temps de passer à l’acte pour mettre fin à la violence faite aux femmes ». A cette rencontre, les femmes de ladite localité ont été sensibiliser sur la nécessité de dénoncer toute violence dont elles seraient victimes. Le même thème a été développé à l’intention des responsables de la communauté musulmane de la ville de Kara le 31 novembre 2013. Cette rencontre a regroupé les participants essentiellement composés d’Imams, des membres des bureaux masculins et féminins de l’union musulmane de Kara.
Conclusion
Pour l’avènement d’un Togo libre et juste une importance capitale doit être accordée à l’éducation aux droits humains. La mobilisation de tous les citoyens contre la violation de ces droits s’avère nécessaire. Pour arriver, chaque Togolais doit faire sien la lutte contre l’analphabétisme.