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3ème conférence internationale sur le financement du développement, Addis Abeba 2015

Y’en a marre de la mendicité pour financer le développement !

Par Samir ABI

financing for development

Je me suis toujours refusé de m’installer en Europe pour éviter d’être vu comme la misère du monde. Cette misère du monde que les médias ne cessent de rabattre aux yeux de tous favorisant une prétendue supériorité d’une partie du monde sur l’autre. Cette misère du monde qui fait le business des politiques actuellement en Occident en manque d’inspiration et de courage pour faire face au vrai raison de la crise et à la finance internationale. Cette misère du monde d’où je viens.

Ma mère dans son misérable état de femme veuve avait le courage de nous faire comprendre que quelque soit les circonstances la dignité ne se vend pas. Elle est devenue vendeuse de charbon pour nourrir et éduquer ses quatre enfants dont le père a été arraché à leur amour par la faute d’un système. Un père privé de salaire pendant quatre ans car les repreneurs français, américains, suisses ou israéliens du splendide hôtel dans lequel il travaillait n’arrivaient pas à trouver un consensus avec l’Etat sur le nombre d’employé qu’il fallait jeter à la porte. Un fleuron du tourisme tel que le décrivait les investisseurs occidentaux qui ont vendu ce projet dans les années 70 à notre Etat et qui s’est avéré trop couteux et inutile à la longue car les touristes préféraient finalement les Clubs Med maghrébins bien plus accessibles. Laissés à leur propre sort sans salaire les employés finirent par mourir progressivement pour les plus chanceux et pour les moins chanceux la prison fut une épreuve de plus car ils se retrouvaient obligés de voler pour subvenir au besoin de leur famille.

Telle est la misère du monde que ma mère m’a donné le courage de ne pas fuir car avec ses ventes de charbon elle réussissait tant bien que mal à financer nos études et le strict minimum vital. A nous de compléter le tableau, d’apprendre à la lueur des lampes à pétrole ou des feux de bois car privés d’électricité. Gérer les corvées d’eau sur 2 km et les tâches scolaires avec l’obligation de réussir à traverser les barrières des examens avec moins de livres et d’accompagnement que les enfants mieux nantis de cette société injuste envers les orphelins et une mère veuve. Ma mère, tout au long de cette période, n’a eu de cesse de réclamer les droits de son défunt mari qui ne lui furent rendus que plusieurs années après sa mort et à un moment où ses enfants avaient déjà franchi le cap des études universitaires. Cette dignité d’une mère africaine telle est la posture que devrait afficher les dirigeants africains au cours du sommet sur le financement du développement à Addis Abeba. Enterrer les discours de mendicité et exiger la justice au nom de tous les maux subits durant des siècles.

Fini les dons parlons de réparation

Le discours sur les dons des pays développés a vécu. Il faut qu’on se le dise une fois pour de bon et qu’on cesse avec cette idée du Sud éternel mendiant. La mendicité par le système des dons, au-delà de renforcer ce complexe de supériorité des uns et de misérabilisme des autres, cache la nécessité de réparation que le Nord doit au Sud pour des siècles d’exploitation. Dans cette même ville d’Addis Abeba, où aura lieu la conférence sur le financement du développement, au mois de juillet 1987, un président africain a su tenir ce discourir de vérité à ses pairs. « Au contraire, les autres nous doivent ce que les plus grandes richesses ne pourront jamais payer c’est-à-dire la dette de sang. » : disait Thomas Sankara. La dette du sang des esclaves versés pour développer le continent américain et européen. La dette du sang des populations exploitées par le système coloniale et néocoloniale au profit du progrès industriel en Occident. « La politique coloniale est fille de la politique industrielle » disait Jules Ferry. Et enfin la dette du sang de nos grands pères morts durant les guerres de 14-18 et de 39-45 pour défendre des causes qui leur étaient étrangères mais par amour pour des pays qu’ils pensaient être les leur. A une période où le climat est sur toutes les bouches, on pourrait ajouter à ses dettes le désastre écologique laissé par l’exploitation anarchique des mers, des forêts et des sols depuis plus d’un siècle pour le continent. Tant de raison pour crier haut et fort réparation et ne plus parler du terme avilissant de ‘Don’ et encore moins de prêts qu’ils soient ou pas concessionnels.

Le système dette a été largement documenté pour qu’on ne revienne sur ses effets pervers qui font que les dettes ne profitent principalement qu’aux banques et aux financiers du Nord. La crise actuelle en Grèce, ce Sud dans le Nord, ne laisse plus d’excuse aux populations du Nord qui jusqu’alors n’avaient pas compris comment la finance internationale est foncièrement contre le bien vivre des peuples.

En revenant sur la place de la dette dans le financement du développement au Sud, le remède miracle des partenariats publics-privés vendu à force de Tam-Tam au Sud a démontré ses limites. La socialisation des coûts sociaux et environnementaux pour les populations et les Etats font qu’au finish les entreprises privées s’en sortent toujours les grandes gagnantes avec des profits qui loin d’être réinvestis au Sud sont savamment rapatriés au Nord. Comment des Etats réduits à la mendicité des dons et des prêts peuvent-ils tenir tête à des multinationales et entreprises privées qui ont en plus à leurs côtés des instances juridiques au sein des institutions financières internationales qui peuvent condamner des Etats ? Le jeu est pipé. Seule la remise en cause de ce système de domination par la mendicité des dons et des prêts et la mise en place d’un cadre formel pour le paiement des réparations de la dette de sang et de la dette écologique pourrait permettre d’émanciper nos Etats du diktat des pays du Nord et de leurs multinationales. Pour cela il nous faut des Etats courageux et dignes à l’image de nos mères qui quelles que soient les atrocités des guerres et les souffrances sociales ne laissent jamais leurs enfants en arrière et essaient de les protéger au mieux. Vivement ces Etats !

Biens mal acquis et la guerre contre les corrompus

L’Europe veut entrer en guerre contre les passeurs au lieu de rentrer en guerre contre les systèmes qui créent les passeurs et les migrants de toutes sortes. Au premier rang de ces systèmes, les corrompus et les prédateurs de tout acabit qui parcourent les cours des palais tant au Nord qu’au Sud pour renforcer leur main mise sur des pays et leurs ressources. Si une certaine justice en Europe a le courage aujourd’hui de lancer des procédures contre des Chefs d’Etat qui ont vu leurs campagnes financées par des dictateurs, prédateurs des richesses de leur pays, il faudrait espérer qu’un jour ce beau soleil se lève en Afrique. Il n’est un secret pour personne que le Sud finance le Nord par le biais du système dette et surtout de l’évasion fiscale.

Je viens malheureusement d’un petit pays où l’évasion fiscale est un sport national tant au niveau des entreprises que des hommes politiques au point où il se retrouve dans le peloton de tête des pays africains à la pointe de ce fléau. Triste record certes. Mais qu’attend-t-on pour lancer un audit de tous les avoirs mal acquis des dirigeants africains qui trainent dans les banques européennes et des biens achetés à coup de millions d’euros dans les villes occidentales ? Cette véritable manne de financement des économies du Sud qui finance le développement du Nord et renforce l’emprise de la finance internationale sur le monde. Le jour où l’Afrique et les autres régions du Sud pourront se faire justice sur tous les corrompus qui ont pillé leurs ressources ; le jour où on pourra lever les secrets bancaires et rapatrier tous les fonds spoliés au financement du développement en Afrique ; le jour où les possessions disproportionnées des dirigeants du Sud en Occident seront rétrocédés à leur pays ; alors on aura balisé la voie vers un réel financement du développement.

Le piège des transferts de fonds de la diaspora

Vous avez parlé du co-développement… Rien de plus qu’un nouveau concept pour cacher le manque de volonté des européens de remplir leur engagement des 0,7% de leur revenu à consacrer au développement des pays du Sud. Pour ceux qui ne sont pas habitués au langage des experts l’histoire est simple.

Les pays développés se sont rendus compte, par hasard, que leurs anciennes colonies malgré leur indépendance sont toujours trop sous développées et pour les amener vers la modernité à l’occidentale il faudrait pouvoir consacrer 0,7% de la richesse qu’ils produisent par an pour ces pays. Cela devait vanter leur image de bienfaiteurs des pauvres auprès de leurs électeurs. Bien loin d’avoir atteint les 0,7% de leur production de richesse annuelle, ces pays ont pu à travers ces fonds développer une nouvelle industrie : celle des ONG internationales. Véritable multinationale du développement, ces ONG battant pavillon de leurs pays respectifs, se livrent la guerre au Sud pour prouver qui aident le plus, servant les intérêts plus de leurs pays que des populations auxquelles ils sont censés venir en aide. Alors après 30 ans d’aide au développement, qui n’a jamais apporté le développement, arrivent les Objectifs du Millénaire pour le Développement, les fameux OMD.

Avec l’aide de la machine onusienne, les pays du Nord se dissent : « Puisqu’on ne peut pas leur apporter le développement pour qu’ils nous rattrapent alors réduisons leur pauvreté et assurons leur la santé et l’éducation tout en émancipant leurs femmes dans un environnement sain ». Caricature bien sûr puisqu’en passant la liberté d’expression n’est pas prise en compte dans les objectifs de développement. En cours de route les pays du Nord se rendent compte en fait qu’ils se font doubler par les diasporas de ces pays du Sud installées chez eux avec l’argent qu’elles envoient à leurs familles et à leurs communautés d’origine. Les diasporas faisaient mieux que 30 ans d’aide au développement raté. « Pourquoi ne pas récupérer l’argent des diasporas, qui en plus est gagné chez nous, pour gonfler les fameux 0,7% qu’on n’atteindra jamais ». C’est bien malin et le co-développement est ainsi né.

La ruse  a été par la suite de persuader les pays du Sud par le biais de la Banque Mondiale et des banques régionales de « développement » que les fonds de la diaspora pouvaient combler les baisses successives du montant de l’aide publique au développement. Hors c’est mal connaitre les diasporas et leur défiance par rapport aux Etats qu’ils ont fuit. Jeu de dupe certes où les Etats du Sud sont censés dire aux diasporas : « On vous a chassé de la terre de vos aïeux mais vous voyez cela vous a été profitable puisque vous rapportez beaucoup d’argent à vos familles et construisez des écoles et hôpitaux pour vos villages. Maintenant il est temps de partager cet argent également avec nous pour qu’on développe ensemble notre pays dont vous faites également partis. ». Quel beau discours ! Aux réticences de certaines diasporas de tomber dans ce jeu s’ajoutent l’arnaque dont elles sont victimes de la part des sociétés de transfert de fonds qui assurent un quasi monopole sur les filières d’envoi de fonds.

La crise économique est également passée par là prouvant la nature aléatoire des espoirs placés dans les fonds en provenance de la diaspora. Mais le mal est déjà fait dans l’imaginaire de tous les miséreux que nous sommes. Au vue des réalisations de la diaspora ils ne restent plus à d’autres que le rêve de rééditer l’exploit de la migration pour être utile à leur famille. On parlera alors d’invasion de la horde des pauvres miséreux de la Terre sans expliquer dans les médias au préalable ce qu’on fait à ces pauvres miséreux.

A ces miséreux que nous sommes on accapare les terres pour produire du café pour la consommation outre mer, pour servir de pâturage aux bovins et caprins dont la viande semble si indispensable de nos jours et on ramasse tous les poissons au large de leur côte et dans leurs fleuves. Ces miséreux, on les exploite dans les mines et industries pour que dans d’autres parties du monde on puisse acheter le moins cher possible lors des soldes. Dans les pays de ces miséreux on a installé des dictateurs et créée des guerres pour qu’ils ne réfléchissent ni ne s’expriment au moment où on exploite leur pétrole et leur coltan pour la fabrication des téléphones intelligents plus performant que les versions qui les ont précédées mais tout aussi inutiles. A ces miséreux enfin on refuse le visa et une façon digne de voyager pour qu’ils viennent mourir en mer en voulant sauver leur famille de la misère.

On n’a jamais cessé de me demander en Europe depuis que j’y viens si je venais par bateau ou par avion. En effet, une autre inégalité de ce siècle est de considérer que le voyage par les airs est réservé au bien né du Nord avec moins de contrainte de visa et les transports sur terre et sur mer au mal né du Sud. Quoi donc de plus normal que de taxer les billets d’avion pour financer le développement des pays africains. On parlera alors de financement innovant en oubliant malheureusement que cela retombe encore plus sur les diasporas qui bénéficient moins des packages offerts par les clubs de vacances aux touristes du Nord. Pauvre diaspora tant qu’on te tient !

Pour la solidarité internationale

Dans le 18ème arrondissement de Paris ce lundi 8 juin, la police lançait une chasse effrénée aux demandeurs d’asile installés sous des tentes sur le parvis du Halle Pajol. Face à la violence inouïe des policiers matraquant et déversant des gaz lacrymogènes sur des personnes privées de toit, de bain et de nourriture, les citoyens français vivant dans les alentours vont se mobiliser aux côtés des migrants. Certains pour évacuer les migrants blessés ou ayant perdus connaissance vers les hôpitaux, d’autres pour faire un cordon de protection voire même affronter la police. Cet élan de solidarité de citoyens français pour défendre la dignité de demandeurs d’asile soudanais, érythréens est la plus belle image qu’on puisse avoir sur le sens de l’aide de nos jours.

Il y a des injustices dans ce monde et il faut les combattre mais non par la mendicité mais par la responsabilité et la défense des droits les plus élémentaires de chaque citoyen vivant dans le petit village qu’est devenu le monde. Responsabiliser le Sud pour qu’il se prenne en main et qu’il assume, par la justice, une meilleure répartition des richesses et des institutions démocratiques qui garantissent les droits de ses populations et permettent de régler les conflits pacifiquement. Responsabiliser le Nord sur l’impact de ses modes de consommation et le rôle de ses dirigeants politiques, de ses entreprises et de ses banques sur la propagation des injustices dans le monde. Répondre ainsi aux injustices par une solidarité internationale autour de la défense des droits. La nature mondialisée des injustices ne peut alors qu’appeler à plus d’alliance Nord-Sud pour défendre la dignité humaine.

La dignité et le droit des paysans du Mali comme de France de fixer eux-mêmes le prix de leur produit et le devoir de solidarité des citoyens et des Etats de faire de sorte que ces produits soient achetés à leur juste prix via un commerce juste et équitable. La dignité des ouvriers dans les mines du Mexique et de Pologne aux prises avec le manque de protection, la précarité et la destruction de leurs environnements. La dignité du peuple grec et des peuples du Sud aux prises avec la finance internationale et les paradis fiscaux pour sauver leur droit au travail, au logement et à la santé.

Pour défendre ces quelques droits la solidarité qu’elle soit locale ou internationale demeure plus que jamais la voie pour aboutir à un développement de nos sociétés respectant la dignité humaine. Une fois encore la meilleure illustration de cette solidarité et de cette lutte pour la dignité se retrouve dans le combat pour la cause des migrants ou disons mieux de cette diaspora indexée comme migrant au Nord. Contre les décisions de leurs Etats des millions de citoyens en Europe et aux Etats-Unis se battent aux côtés de citoyens de Sud emprisonnés avec pour seul crime de ne pas avoir de papier. Un papier qui vaut plus que la dignité humaine. Face à la répression policière et les mobilisations militaires qui s’abattent sur des êtres humains qui n’ont commis qu’un seul crime être né dans le mauvais côté du monde, des voix solidaires s’élèvent pour dénoncer et proposer des alternatives. Par la pensée et l’action la solidarité s’exprime plus que jamais permettant de libérer des migrants, de leur accorder des papiers et de les intégrer pour qu’ils puissent demain eux aussi financer le développement de leur communauté d’origine.

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