BIG NOISE CAMPAIGN 2013
CARNET DE ROUTE N° 1 :
Afi de Koumoundè ou la traversée vers le Gabon
par ABI Samir
Une fois n’est pas coutume, cette histoire commence loin de Lomé, dans les montagnes du Nord Togo, où la caravane de la Big Noise Campaign 2013 a séjourné le week-end passé. Cette région, pour ceux qui ne l’ont jamais visitée, est difficilement descriptible. Toutes aussi belles que singulières, les montagnes qui s’y étendent à perte de vue, vous renvoient, de par leurs proportions, l’image de la fragilité de l’espèce humaine face à la nature qui l’entoure. Une fois dépassée l’impressionnante faille d’Alédjo, vous tombez sur un petit village appelé Koumondè. Afi, l’héroïne de ces lignes, vient de ce village, perdu dans les montagnes, où la vie s’écoule entre les journées aux champs et les soirées autour du feu, animées, de temps à autre, par les quelques rares griots qui y survivent encore.
La vie d’Afi bascule à cause d’une grossesse non désirée alors qu’elle est encore élève au collège. Un accident, comme ils disent dans la région. Elle se retrouve à 16 ans, seule, avec un enfant à nourrir, et sans ressources. Malgré de multiples travaux champêtres, les difficultés de survie dans la région l’incitent à suivre la route de l’exil. Destination : le Gabon. Elle a été charmée par quelques femmes de la région qui proposent aux filles de les conduire dans l’eldorado gabonais, par avion, tous frais payés, Afi laisse son enfant encore nourrisson à la charge de sa vieille mère, et rejoint la colonne des autres candidates à l’émigration, presque toutes de l’ethnie Kotocoli. Arrivées à Sokodé, elles rejoignent d’autres recrues, venues du Mali, du Sénégal, et de Côte d’ivoire, toutes en quête de travail au Gabon.
La ville de Sokodé, au centre du Togo, est un lieu de transit incontournable pour ces nombreuses filles sans papiers à cause des nombreux passeurs, pardon, des «passeuses» de la région. Dans cette ville marquée, depuis le 17 ème siècle, par les caravanes de commerce de la cola et du sel, les habitants, majoritairement de l’ethnie kotocoli, ont hérité d’une forte culture migratoire. Les femmes, autant voire plus que les hommes, ont acquis, ces dernières années, une grande expertise en mobilité, aussi bien en Afrique que vers les pays du Golfe.
De Sokodé, les candidates à l’émigration sont embarquées, non sur l’aéroport de Lomé, mais pour Sémé, à la frontière Nigériane, via le Nord du Bénin, après quelques escales à Cotonou et Porto Novo. Leur première épreuve consiste à semer les gardes- frontières nigérians, grâce aux différentes astuces qu’on leur a apprises. Cette étape franchie, un bus les attend. Direction Lagos, puis Calabar au sud est du Nigéria. Ce premier périple à partir de Sokodé peut être fait en une journée et demie. Mais leur véritable enfer migratoire commence à Calabar.
Avant de rejoindre les côtes gabonaises, les filles sont d’abord parquées, dissimulées dans des cabanes construites en paille, éparpillées dans différents endroits de la forêt. Le récit qu’elles font de leurs conditions de vie dans ces cabanes de fortune ressemble étrangement aux récits de vie dans les anciens forts aux esclaves, sur la côte, lors du commerce triangulaire. L’attente dans ces conditions dure de quelques mois à un an. En effet, pour rentabiliser chacune des traversées en barque, les passeurs procèdent par groupe de 200 personnes. Afin de diminuer les frais liés à leur prise en charge lors de la période d’attente, les filles sont mises à contribution dans les fermes environnantes, ou « prêtées », pour quelques nuits, à des notables ou commerçants de la région. Les moins averties tombent enceintes, et sont obligées d’avorter traditionnellement. Celles qui survivent à toutes ces épreuves doivent affronter la dernière : la traversée.
Une traversée de quatre jours, à la merci des grandes vagues de l’océan atlantique, les unes au dessus des autres, dans de grandes barques encombrées de diverses marchandises qui seront, elles aussi, introduites illégalement au Gabon. L’arrivée sur les côtes gabonaises se fait de nuit pour éviter les contrôles, et échapper aux phares des bateaux pétroliers et bateaux commerciaux qui sillonnent la côte. Les filles, après l’accostage, sont dissimulées le reste de la nuit derrière des troncs de palmier, et sont récupérées à l’aube par les complices des passeurs, afin d’être livrées aux personnes à l’origine de la commande. Certaines sont alors mises en vente aux « marchés aux esclaves togolais », le triste nom donné à la multitude de lieux de négoce de filles ouest africaines, issues de la traite vers le Gabon et la Guinée Equatoriale.
Quand elles se retrouvent domestiques dans les ménages gabonais, elles passent les premières années de leur nouvelle vie à rembourser les « passeuses ». Pour un salaire variant entre 60000 et 100000 F Cfa (100 et 150 euros), les filles reversent 80% de leur gain mensuel aux passeuses, et sont tenues de travailler tout le mois avec deux jours de permission. Usant de malice, de terreur, voire de gris gris, et jouant sur la situation irrégulière des filles, les « passeuses » s’attachent leurs services pendant plusieurs années, et accaparent le fruit de leur labeur.
Maltraitée, abusée, extorquée pendant neuf ans, Afi arrive à fuir le Gabon sur un bateau en partance pour le port de Cotonou avant de rejoindre le Nord du Togo pour retrouver sa mère et sa fille qui grandissait en son absence. Elle s’occupe aujourd’hui du jardin de tomates de sa mère. Quelques mois après son retour, elle est devenue Griot. Elle parcourt les villages de montagne, avec un groupe de troubadours, pour chanter les sagesses populaires, pour conscientiser les populations sur la réalité de la migration irrégulière, et sur tous les faits sociaux qui déciment cette communauté, victime de pauvreté et d’ignorance.
Merci à Afi et que ces chansons puissent conscientiser les filles qui aujourd’hui ne pensent qu’au gain facile.
De ces exemples,il y en a dans toutes les régions du TOGO. Ces filles qui vont au Burkina, Niger,Mali, Côte d’Ivoire et qui reviennent souvent très malades et qui sont laissée dans des gares routières car elles ne sont plus capables de dire qui elles sont et de quel milieu elles sont,
Voilà ce que nous vivons aux frontières.
puisqu’elles n’ont pas de pièces d’identité.
Penchez vous sur ce phénomène qui nous enlève nos filles
Merci à Afi la courageuse.
Irène
Merci Samir pour ce récit. Ca donne la chair de poule de lire ce témoignage, et le parallèle avec l’esclavagisme est d’autant plus fort. Parler, voilà une arme qui donne de l’espoir dans ces situations de misère qui se répètent depuis des siècles et qui s’intensifient aujourd’hui. Et griot, un métier qui redonne du sens à la vie.
Moi qui suis enceinte aujourd’hui, par choix, je comprends à quel point devoir porter un enfant non désiré doit être difficile. Parlons, sensibilisons, allons vers les jeunes pour faire changer les choses. A notre échelle, nous pouvons tous faire quelque chose, Afi nous en donne la preuve. Merci à elle et merci à toi Samir.
Claire
Samir, chapeau pour ce temoignage retracé! C’est renversant!
Travaillons ensemble pour que la migration professionnelle soit une reponse ethique au chomage
Edmond Amoussou
DG ANPE TOGO